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la Vère jusqu’à la base de la presqu’île qui ferme la baie de Wahy au fond de laquelle, derrière les dunes et le marais, était la maison de Susini. Par là il y avait beaucoup d’Allemands. Pourtant, il trouva un coin à la limite de la dune et du marais qui devint son coin préféré.

Au revers de la dune, il y avait un bouquet de sapins d’où l’on pouvait contempler en arrière tout le marais et au loin la Maison des Marais. Il se couchait dans un creux et sortait un livre. Tous les livres qu’il lisait, il les avait déjà lus, aux quatre coins du monde. Quelle idée d’être revenu en France. Mais le monde entier était maintenant à peu de chose près comme la France. Là ou ailleurs, il pouvait aussi bien attendre la mort qui venait. Par-dessus l’épaule de la mort, il regardait ce qui ne se voit pas. Il ne lisait que des livres qui parlaient de cela. Ces livres répétaient tous la même chose, et ils étaient touchants et précieux pour leur monotonie de plantes ascétiques dans le désert. Il n’en lisait pas long  : une phrase suffisait et sur la trace d’une méditation ancienne son esprit de plus en plus familier avec lui-même coïncidait aussitôt avec l’essentiel de son passé, de sorte qu’il n’y avait qu’un présent aussi insistant que l’aiguille d’une boussole en plein Oural magnétique. Il lisait une phrase et dans le sable il considérait le signe infini que faisait une touffe d’herbes sèches et salées. Dans son esprit la phrase et la touffe étaient nouées. Il était ce nœud et le monde était ce nœud.

Il était ailleurs, mais aussi dans le marais. Étant