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qu’il est fait pour mourir ; le mieux pour lui, c’est de prendre en main la mort. De se faire lui-même l’exécuteur. D’être lui-même le bourreau. Enlever le couteau à la main de Dieu. Abraham voulait zigouiller lui-même son Isaac. Mais les religions antiques étaient tombées en décadence… La décadence, toujours la décadence. La vie est une perpétuelle décadence depuis le début… on tuait des béliers et non plus des hommes. La vraie religion c’est la religion mexicaine : fendre un homme par le milieu et lui arracher le cœur. Qu’un cœur d’homme palpite dans une main d’homme, voilà toute la vie.

Il s’arrêta. Il maniait le revolver avec ce geste suffisant qu’ont les héros de films dans les films. Susini songeait à cela avec dégoût.

— Le sacrifice est double. Il faut sacrifier les autres et il faut se sacrifier soi-même. Je suppose que quand le prêtre mexicain était ivre de sang, que le sang montait par nappes épaisses, par fumées épaisses du fond des fosses, il finissait par succomber à la tentation et il s’éventrait lui-même. Donc, je veux tuer Cormont, mais je veux tuer aussi Constant. Constant Trubert, le tuer, est-ce me tuer ? Non, c’est tuer cet individu, ce raseur que je traîne après moi depuis cinquante ans. C’est tuer mon ombre, tout ce qui en moi est superflu et encombrant… En tout cas, en tuant Cormont et Constant, je les réalise tous les deux, je leur donne le maximum de réalisation et de réalité. Tu comprends, je t assimile au Christ… Toute victime, toute hostie participe du Christ…