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leur honorable état civil bourgeois. «  Moi aussi j’ai la syphilis, songeait Constant, mais c’était une syphilis d’Afrique jeune et forte qui autrefois m’a travaillé à chaud.  » Il était obligé de faire effort pour se rappeler cette syphilis de jeunesse qui avait si vigoureusement tordu et laminé sa perspective de vie. Était-ce elle qui lui avait fait perdre ses dents  ?

— Je m’appelle M. Philippe Préault. Je suis le directeur de l’usine de métallurgie qui est à l’embouchure de la Vère. Vous connaissez  ?

— J’ai été en vélo jusqu’au bord de la Vère et j’ai vu votre usine de l’autre côté. Je m’appelle Constant Trubert.

À gauche de la Maison des Marais, vers le sud-ouest, les marais et les sables finissaient au bout d’une morne rivière canalisée et au-delà on apercevait une longue usine basse, plantée de deux puissantes cheminées.

— Mais vous travaillez encore  ?

— Oui, pour les Allemands.

— Et les Anglais vous laissent  ?

— Sans doute ont-ils d’autres chiens à fouetter.

M. Préault scrutait Constant avec une hâte désordonnée. «  Ce n’est pas comme Salis.  » Visiblement, ce M. Préault était venu pour lui, pour savoir qui il était et ce qu’il faisait là. Par qui avait-il été prévenu  ? En dehors des vieilles femmes, Constant n’avait encore causé qu’avec Salis. Mais il y avait les gens rencontrés sur les routes. N’ayant pas grand-chose à faire, il avait déjà beaucoup roulé et marché  ; ce pays, il commençait