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Susini avait voulu aller faire un tour dans l’arrière-pays en bicyclette, mais Bardy et Salis se méfiaient de lui et le lui avaient nettement déconseillé. Il n’avait plus de cigarettes, lui qui fumait tout le temps, et le potentat du marché noir avait partagé la maigre pitance apportée par des émissaires envoyés par chaque bande. Il avait mangé avec Bardy, ce que chacun s’était empressé de prendre pour un fait significatif.

Mais Constant ne blaguait pas et se tenait à l’écart, regardait Susini qui, en dépit de l’air ironique et altier qu’il conservait soigneusement, était en fait déconsidéré et dépenaillé. Quand la nuit vint, Constant lui dit qu’il avait à lui parler. Il l’emmena le long du marais. Il était parfaitement, idéalement sûr de réussir ce qu’il allait entreprendre. Il dit à Susini : « Arrêtez-vous, regardez-moi. » Et il lui donna un formidable coup de poing sur le chapeau. Constant avait de lourds battoirs et Susini était frêle sous sa corpulence. Il s’écroula. Constant lui mit son chandail sur la tête et le noua par les manches, puis il le traîna jusqu’à la périssoire qui était restée dans les roseaux. L’ayant charge, il poussa très doucement le long du rivage du côté oppose a la chaussée. Quand il fut bien loin, il piqua à travers le marais et vint se présenter aux assiégés par le fond du jardin. Susini s’agitait, il lui redonna un petit coup de pagaie sur la tête.

Une sentinelle de Cormont le héla. Constant cria. « Appelez Cormont. » Cormont vint. « C’est Constant. »