Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/227

Cette page n’a pas encore été corrigée

visage, criblé de tics d’inquiétude et de doute. Le vrai visage français, après tout, c’était celui de Préault, nullement imitatif, en dépit de maladroites et enfantines allusions, mais complètement démodé, antédiluvien, aussi étroit et minutieux dans son individualisme que son nationalisme, aussi ignorant des Anglais et des Américains qu’il croyait aimer que des Allemands qu’il haïssait, aussi égaré dans l’amour devant les communistes qu’hier dans la haine. Il était là, planté sur le bord du marais, ce démocrate causant avec divers pseudo-totalitaires. Bien qu’il fût assez commodément habillé, Constant l’agrémentait symboliquement de bottines à boutons, d’un col droit empesé, d’une cravate toute faite et d’un melon. Capitaliste au demeurant, c’était lui qui était la vraie France, absolument immobile et sclérosée, gaulliste, mais prétendant éviter l’autoritarisme, ce qui est contradictoire, crispée contre l’invasion militaire mais à jamais abandonnée à tous les envahissements subreptices, butée pour le moment dans l’antibochisme mais vouée à dix autres occupants.

Cette comédie au bord de l’eau aurait pu s’éterniser : les Français livrés à eux-mêmes n’auraient même plus la force de s’engueuler ; encore moins de s’entre-tuer, et ils sont tout le temps près d’oublier les divers managers étrangers qu’ils ont au derrière. Mais Constant, étrange Français, revenu des pays lointains, avait décidé de faire de cette comédie une tragédie.