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venir ; en tout cas, il est là de cœur. Il y a une ressemblance beaucoup plus précise entre le cas de Jésus et le cas de Cormont, c’est que tout le monde veut le sacrifice et que personne ne sait comment y arriver. C’est ici que l’affaire Cormont rejoint mon affaire. Je dois être le Judas de ce Jésus. C’est à moi de trouver le joint pour obliger l’événement à se produire. Il faut que je livre Jésus aux Romains, puisque les Juifs ont peur de sauter le pas. Donc, aller téléphoner aux Allemands… Et j’aurai mes trente deniers ! Les trente deniers sont indispensables dans l’opération pour que le deus ex machina reste à sa place, soit humilié, ravalé, pour que l’opération reste purement démoniaque. Judas, c’est Satan. Mais Satan n’est pas Dieu. Donc, Judas doit toucher trente deniers, une somme infime, dérisoire, mais qui suffit à le salir, à le ravaler au rang de démiurge subalterne et servile, au rang de Satan, éternellement révolté et éternellement esclave. »

Constant était couché dans les roseaux et séchait son chandail et son pyjama. Un joli soleil de fin d’octobre venait le flatter. « Donc, je devrais me lever et aller téléphoner aux Allemands, qu’ils viennent et embarquent tout le monde. Cormont serait fusillé… Je n’aime pas beaucoup ça. Non, Judas était mieux que ça. Il faudrait trouver autre chose.

« Et puis, enfin, ce petit Cormont me plaît. Je lui ai sauvé la mise, ce n’est pas pour le faire mourir comme ça. Et puis, il faut que je meure, moi aussi.