Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

jusqu’à vingt, si après cela il y a encore un homme sur la chaussée, nous tirerons.

— Vous êtes fou.

— Je compte : un, deux…

Les compères refluèrent. Ils allèrent se consulter un peu à l’écart.

— Pas question d’attaquer : le blocus est seul possible, dit Susini.

— Il faut couper l’eau, proposa Salis.

— Il y a une citerne et l’eau du marais, remarqua Susini.

— Mais il ne pourra pas rester, il faudra bien qu’il rentre à son École. Attendons, faisons un blocus discret.

Ils prirent des dispositions.

Constant éternuait et toussait. Il avait attrapé la crève pendant la nuit. Un peu de soleil venait mais il faisait encore froid et humide. Il s’écarta un peu pour réfléchir. Il y avait un brouillard qui s’effilochait doucement. Il regardait ces lieux devenus familiers avec l’œil soudain indifférent et excédé de l’homme aussitôt que le drame envahit la nature. On se fiche bien de la nature dès que la mort humaine est là, Constant sentait de plus en plus la mort.

« Je suis arrivé ici un après-midi, je suis descendu de vélo à l’entrée de cette chaussée. Je me suis dit : “On pourrait finir de vivre ici. Eh bien, il faut que j’en vienne à ma mort, en effet. Je veux être le maître de ma mort ; donc il faut que je la choisisse et l’accomplisse de bonne heure. Cinquante ans, ce n’est pas trop tôt.

Il avait lu beaucoup de textes asiatiques, mais au