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désiré dans une vie nullement méprisée, savourée au contraire. «  Mais la sagesse des vieillards, non c’est trop facile  ; quand on a connu la sagesse d’un jeune homme qui se jetait durement à la découverte de la vie et en même temps de l’au-delà de la vie…  »

Il arriva à la longue allée qui menait à la Maison des Marais. Il sauta à terre et alluma une cigarette. «  Encore une, il y en a toujours une.  » L’allée d’arbres formait chaussée et du côté droit, vers le nord-ouest, c’était déjà le marais. Il passa entre les arbres pour se rapprocher du bord. La chaussée se déhanchait un peu et on apercevait, au-delà de l’eau plate, le terre-plein et la maison. Une longue maison basse, de briques et de pierre, bien encapuchonnée sous des pentes gondolées de tuiles anciennes. C’était vieux, solide, solitaire, tout à fait étranger au temps présent et pourtant complice de tous les écoulements du temps.

— C’est bien, c’est bien, fit-il à haute voix. Je pourrai rester là un bout de temps. Voilà une bonne halte.

La cigarette était odorante dans le gris et le calme. Le marais s’étendait assez loin, coupé de chaussées et de haies et de lignes d’arbres. Par l’atmosphère ouatée et empaquetée, c’était un peu la Poméranie, s’il le voulait. Une Europe basse et grise, une Europe poméranienne, puis batave et frisonne, s’allongeait jusqu’ici, jusqu’où César avait poussé ses légions qui avaient enfoncé leurs pieux réglementaires dans la vase. Et tant de dieux qui marchaient avec elles. Y avait-il une différence