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— Rien.

Dehors, Constant vit sur la façade son nom  : Gabriel Salis.

— Viens me voir chez Susini.

— Oui.

Il enfourcha son vélo et fila, ses grandes épaules disloquées sur le guidon. L’autre se dit  : «  Ce qui fait sa force, c’est ce râtelier, on croit que c’est son point faible, et c’est par là qu’il se défend le mieux. Susini choisit bien ses hommes.  »

Constant fila entre des haies  : le pays commençait à lui plaire. «  S’ils sont tous comme celui-ci. Mais non, c’en est un comme on n’en rencontre que de loin en loin. Le reste, ce sera du mou. Est-ce ici que je finirai ma vie  ? Il faut pourtant que je la finisse. J’arrive à des âges impossibles. La sagesse des vieillards, il y a longtemps que je suis dedans. Après tout, le vert du sapin a du bon  : je dis toujours que je n’aime pas le vert, c’est une couleur qui me borne. Mais combien de verts m’ont contraint à saluer. On est bien obligé de saluer la nature puisqu’on a un chapeau et une main au chapeau.  » Il n’avait pas de chapeau, mais une énorme tignasse poivre et sel, coupée court.

Il filait entre les haies larges et hautes. De temps en temps une maison basse, peu de monde. Pas de Fritz. «  Ils sont plus loin, en haut dans la baie.  » Il suivait avec sûreté l’itinéraire de Salis. Il savait amèrement les petites choses de la vie et de mieux en mieux à mesure que le moment de l’autre chose se rapprochait, moment