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assez savoureux, si l’on n’en abusait pas, avec la profonde et effrayante mansuétude de Wladimir Liassov, bien que la liberté cynique avec laquelle Susini traitait de toutes les petites choses de la vie pût paraître à la fin du compte un hommage aux intérêts tout dépouillés qui ravissaient Liassov. Celui-ci ne venait jamais dîner, mais deux fois Susini alla le voir, sans demander à Constant de l’accompagner.

Constant ne savait pas si Susini connaissait les amours de Roxane avec Cormont, après les autres.

_ Croyez-vous que Cormont deviendra un homme politique ? demanda un soir Roxane à Susini.

Elle avait une voix profonde, un puissant contralto qui allait bien avec les grands traits de son visage et avec les grandes ondées de sa chevelure noire. Elle était de quelque tribu du Caucase.

— Il l’est déjà, à ce qu’on me dit, répondit Susini, sans que son regard pétillât de plus de malice qu’à l’ordinaire.

— Il joue pour le moment, fit Roxane avec une moue.

Son regard ne cachait pas le plaisir qu’elle avait de penser au jeune homme.

— Les hommes politiques et les hommes d’affaires sont des enfants qui continuent à jouer toute leur vie, nota Constant.