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vive conscience. Pendant longtemps, tout en y songeant, il n’avait pas été pressé et la vie lui apportait chaque jour plus de conscience ; mais il ne fallait pas dépasser le meilleur moment, ce devait être celui de la pleine maturité juste avant le commencement de la vieillesse ou de la maladie chronique.

La mort, c’était aussi la mort des autres. La mort des autres pouvait lui apporter quelques lumières préparatoires. Il avait observé la mort des autres, mais cela avait aggravé l’énigme en la précisant. Les mourants ne faisaient qu’avouer ce qu’étaient les vivants, des enfants désarmés, impréparés, absolument étrangers à leur destin. Les chrétiens exercés et pratiquants ne lui avaient pas paru aborder l’épreuve avec beaucoup plus de vertu : leur résignation lui semblait plaquée. Il reconnaissait pourtant comme assez remarquable qu’une attitude pût dans quelque mesure subsister au moment où toutes les attitudes sont défaites et remplacées par la même réaction commune, vague et obscure : la peur, une protestation timide, une convulsion du fœtus renouvelée devant un nouveau seuil.

La mort avait deux aspects : la donner et la recevoir.

S’il donnait la mort à quelqu’un, ce serait un moyen d’apprendre quelque chose. Au front, il n’avait su s’il donnait la mort à quelqu’un. Il n’avait guère compté sur le corps à corps, qui en effet ne s’était pas présenté. Et du reste, le corps à corps dans le tohu-bohu ne donnait certes ni le temps ni l’envie de s’appesantir. La mort donnée ne serait intéressante que dans