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Paris. Il s’était laissé surprendre par elle, mais il l’avait vue venir. Il avait songé à glisser vers l’Amérique du Sud, mais il s’était dit que la guerre lui pèserait autant là-bas qu’ici et puis il voulait être en Europe pour le moment où ça deviendrait intéressant, où ça tournerait à l’inextricable désastre. Il n’avait aucune foi politique, bien au contraire, mais disait-il : « J’aime les déserts. La fin du monde dit “moderne”, ça va faire un beau désert. »

Il n’avait rien attendu de la guerre, aussi n’avait-il pas été déçu par elle. Il aimait la guerre, mais il la mettait ailleurs que dans ces immenses poussées de foules, réglées par une bureaucratie d’ingénieurs et d’agents publicitaires. Où la mettait-il, la guerre ? Elle était dans son cœur, contre tous les hommes peut-être. Il était tapi dans sa solitude, aux aguets, attendant le moment pour fondre il ne savait sur qui, mais sur quelqu’un. Il avait énormément pensé à la mort.

À la mort des autres et à la sienne. Il rêvait de connaître sa propre mort, d’en faire un acte de choix et de conscience. Comment connaître sa propre mort ? Il avait examiné diverses manières de suicides, des suicides lents qui permettent le maximum de conscience jusqu’à la dernière minute ; le plus efficace lui semblait l’ouverture des veines. Il croyait bien se rappeler avoir lu quelque part que contrairement à la légende ce suicide est douloureux et cela lui faisait peur, mais il réfléchissait que la douleur est la seule condition de la plus fugacement vive mais de la plus