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Constant avait bien cru qu’il passerait sa vie au désert.

Mais il voulait connaître la vie qu’il rejetait et haïssait. Il partit pour l’Amérique où il passa deux ou trois ans dans une sorte de misère à demi voulue. Il était manœuvre tantôt à la ville, tantôt à la campagne. Sa santé était forte et il pouvait tout supporter, étant profondément indifférent à tout et curieux de tout. Jamais il n’avait tout à fait cessé de lire : il connaissait aussi bien qu’un autre les inévitables classiques de l’individu moderne : Pascal, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Apollinaire, Stendhal et Dostoïevsky. Contrairement à tout ce qu’il avait cru, il ne détesta pas la vie américaine. Elle était moralement misérable et prétentieuse, mais il y avait quelque chose de naïf et de rude dans la misère qui fait passer sur la prétention.

Au fond, il voyait avec le même œil les foules américaines rouler carrosse que les Maures traîner leurs haillons au milieu des terrains vagues. Rien ne pouvait l’indigner ni le séduire tout à fait.

Après cela, il avait voulu connaître ce qui restait de l’Asie et il s’était fait matelot. Il avait roulé au Japon, en Chine, aux Indes. À un moment, il avait senti remonter en lui la soif de la connaissance livresque. Il avait besoin de points de repère intellectuels pour doubler les points de repère de son existence. Il avait fait des économies et était rentré à Paris pour entamer des études religieuses. Toutefois, auparavant, il avait fait un crochet par Moscou. La guerre l’avait surpris à