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dire que je ne vous dénoncerai pas à celui-ci ou à celui-là. C’est ce que vous vouliez savoir, n’est-ce pas ?

— Mais à Susini ?

— Parler de votre projet à Susini, ce n’est pas vous dénoncer, c’est faire mon devoir de vigilance.

— Mais je me suis confié à vous.

— Pour que je me livre à vous, mon gaillard.

« Ce pauvre Judas, je comprends qu’il se soit mis en colère contre tous ces disciples qui étaient extrêmement médiocres, qui n’y comprenaient rien, qui donnaient chacun une interprétation différente et sordide de l’aventure. Et finalement Jésus représentait l’impuissance inénarrable de toute sa troupe, de toute l’humanité en quête de solutions dérisoires. Il n’y avait que Jean qui était assez bien. Judas ne pouvait pas prévoir que viendrait Paul avec son génie. Judas, dont je ne veux certes pas faire un génie, d’aucune espèce, et chez qui je maintiens un fond éminemment sordide (car après tout, Satan en tant qu’esprit critique est très bas), était sensible de quelque façon à la supériorité de Jésus. Peut-être comme un marchand de tableaux qui ne comprend rien à la peinture et qui pourtant a le sens de la valeur picturale des tableaux qu’il vend. Qu’il vend… Pourquoi diable est-ce que je m’intéresse à ce Judas ? Au fond, à cause de Jésus. Par Jean, Judas prend le sens de la valeur de