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moment qu’il ne leur disait que cela ? Pour lui, il s’agissait de tout autre chose ; depuis longtemps, il se trouvait dans l’au-delà de cette situation, par lui pressentie, vécue, jugée dès son jeune âge. À dix-huit ans, il avait quitté la France, comme il aurait quitté l’Allemagne ou l’Angleterre : il avait senti la mort qui cherchait à le figer comme une image dans un cadre étroit et vermoulu. Et peu à peu il était entré dans cette désincarnation qui est le propre d’un homme qui vieillit, mais qui correspondait aussi au destin du petit monde condamné dont il était issu. Toutefois, avant de se défaire, il s’était fait ; avant de cultiver la mort, il avait cultivé la vie. Si entièrement qu’il acceptât l’attitude mystique, il ne la concevait que comme fleur sur l’arbre de la vie. La vie n’était pas le mal comme le disent les chrétiens et les bouddhistes (toutefois, ceux-ci d’une façon plus intelligente que ceux-là, nullement moraliste). Il y a le Verbe, dont se dégagent ces spécifications étranges et délicieuses et décevantes de la vie, mais ces spécifications ensuite rentrent dans le sein du Verbe, qui lui-même rentre dans l’indicible. Et tout cela dans une seconde éternelle.

La France avait été une spécification puissante et merveilleuse, elle rentrait dans le sein du Verbe comme Athènes et Florence, les Mayas ou les Khmers. Et lui, Constant, le rôdeur de la planète, il repoussait avec ennui et dédain toutes les dénominations dont on aurait voulu l’affubler si on l’avait connu : cosmopolite (il méprisait les villes), international (il était las des jacassements