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Cormont ne disait rien. Doué d’une nature implacablement intellectuelle, il retrouvait devant Constant la tentation d’être l’homme qu’il ne voulait pas être et qu’il aurait pu être plus aisément que celui qu’il s’efforçait de devenir. Mais ce qui le rassurait, c’était de goûter le sentiment que cette tentation ne l’emporterait jamais en lui. Justement parce qu’il était intellectuel d’une façon aiguë et perçante, il savait que tout intellectualisme était mort ou ne donnait plus que des fruits secs.

Constant haussa les épaules, ne répondit rien. Cormont ne souffrait pas du silence et ce ne fut qu’au bout d’un long moment qu’il le rompit.

— Il me semble que le camarade n’a rien à ajouter à ce qu’il a dit. En faisant la critique de nos idées, il a montré les siennes : c’est un laconique.

— Mais oui, sourit amèrement Constant. Vous voulez maintenir un patriotisme de province à l’époque des empires, à l’époque des avions qui traversent un océan en quelques heures. Libre à vous. Persévérer dans son être jusqu’à la décomposition totale est une fatalité à laquelle bien peu peuvent échapper et c’est aussi un assouvissement plein de séduction. Vous ne serez pas les seuls ; de par le monde il y a quarante patries qui se raidissent contre l’inévitable. Et à ce que vous faites, il y a une raison profonde et vénérable : c’est que la forme des patries, des cités, est essentiellement créatrice. Avec les patries meurt l’art ; la mort de l’art dont nous sommes les témoins annonce la mort des patries. L’arrêt brusque de la peinture française