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Après cela, Constant ne dit plus rien ; il aurait pu continuer, mais il s’en abstint. Il aimait toujours mieux que les autres parlassent que lui : il se permettait seulement de les mettre dans une certaine voie quand ils en valaient la peine, circonstance tout à fait rare. Dans ce temps, plus que jamais, les paroles lui paraissaient atrocement vaines et sacrilèges. Pourtant la forêt dispensait une solennité indéniable à celles qui pouvaient être dites ici.

Les autres s’étonnaient, puis se plurent au silence de Constant. Cela les obligeait à considérer ce qu’il avait dit comme ne venant pas d’un rhéteur quelconque.

Cormont s’agitait sous son masque de chair couturée. Il parlait : il n’avait pas l’élocution facile.

— La France est occupée depuis très longtemps, par des amis et par des ennemis. Pour le faible un ami est pire qu’un ennemi et c’est pourquoi l’ennemi se présente comme un ami. Nous serons occupés très longtemps encore et c’est en dépit de l’occupation faite par celui-ci ou par celui-là que nous devons reconstituer notre force. Nous ne pouvons le faire que d’une façon tout à fait sévère, tout à fait secrète, dans une discipline farouche qui ne peut connaître d’autre sanction que la mort. Certes, Trubert a raison, l’Europe deviendra forcément un empire ou elle périra. Mais que ce soit l’Angleterre ou l’Allemagne qui soit la tête de cet empire, nous devons reconquérir notre isolement pour pouvoir apporter à cet empire non pas notre soumission, mais notre