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loin qu’il pouvait en voir autour de lui, il laissait de temps à autre se manifester à l’égard de ces choses et de ces gens, une distraction qui résultait de ce que sa véritable attention était toute tournée vers une image intérieure, la même que chez Préault, celle de la déesse France, mais plus pure chez lui, plus intransigeante. Cette distraction de derrière la tête touchait Constant.

Le camp, très petit, était situé dans une forêt. Il y avait plusieurs cabanes autour d’un mât sans drapeau. Les garçons de loin avaient l’air solide, de près leur regard était incertain, traqué, avec des assombrissements brefs qui annonçaient la décision puis se dissipaient. Cormont en prit quelques-uns et les emmena avec Constant dans une petite clairière assez lointaine. On s’assit en rond.

— Eh bien, leur dit Constant, vous avez appris des étrangers à allumer le feu dans les bois, à vous asseoir loin des femmes et des villes, à chanter, chantez.

Les garçons le regardaient avec une méfiance cent fois justifiée : les beaux parleurs venaient les relancer dans leur forêt. Le soi-disant régime antiparlementaire qui s’était abattu sur eux et s’efforçait de les manier avec des mains molles continuait les habitudes parlementaires.

Ils chantèrent, assez mal, des chants anciens, mais qui ne retrouvaient pas en eux un module très profond. Le chant reviendrait-il jamais, avec la danse, dans ces âmes qu’ils avaient reçues de leurs parents, réduites par le délice exigu d’une vie