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secrète : l’attitude du héros et du saint. Il n’était rien de tout cela et il avait toujours eu horreur de ces réussites spectaculaires qui font que par contraste on pensera toujours qu’il y a eu quelque part dans le monde des hommes secrets et exquis qui ont été plus héros que Napoléon et plus saints que saint François. Mais il avait poursuivi en lui, avec une vigueur de plus en plus aisée et de plus en plus tranquille, le culte modeste, tour à tour joyeux et amer, de ces deux tendances si familières aux humains, sitôt qu’ils savent qu’ils ne peuvent plus être des animaux. Ah ! certes, les animaux dans leur perfection fixe sont bien supérieurs aux humains avec leurs écarts et leurs tâtonnements.

À force d’être nietzschéen, Constant finissait par méconnaître la grandeur personnelle de Nietzsche.

Constant alla voir Cormont à son camp. C’était une sorte d’école de cadres autorisée par les Allemands, mais qui n’était pas sans éveiller leurs suspicions. Là comme ailleurs, tous les clans avaient leurs espions. Il y avait alors en France tellement de gens qui espionnaient pour le compte de celui-ci ou de celui-là ! La France obsédée, investie, se déchirait les entrailles. Cormont supportait tout avec une patience obstinée, gaie. Il avait la gaîté à la fois naïve et narquoise de Jeanne d’Arc ou d’un jeune missionnaire chez les nègres. Tout en s’occupant avec la plus grande rigueur des gens et des choses aussi