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« moderne », de cet autre homme ultra-intellectuel allant d’un pas crispé vers l’inculture, si profondément dégénéré qu’était le chrétien juif, grec ou romain ?

Lui, Constant, dérisoire nietzschéen, dérisoire comme tous les nietzschéens d’Occident, dérisoire comme Nietzsche lui-même, regarde ces monstres qui se sont levés dans l’Est de l’Europe et qui dépassent tellement les figures nietzschéennes, car devant Tamerlan il faut bien dire qu’Alcibiade et Borgia sont des petits maîtres un peu spécieux. Mais Constant avait-il vraiment toutes les tares de Nietzsche, toutes les tares dénoncées et incarnées par Nietzsche ? Après tout il avait été en Afrique soldat et « practical joker », ce que n’avait guère été Nietzsche. Il avait été dans tous les commerces humains, ceux du sexe, de l’argent, du pouvoir – ce que peut-être Nietzsche voulait pour ses disciples, mais qu’il leur rendait si difficile par les trop grandes délicatesses et le pouvoir d’énervement secret de ses analyses. Après tout, Constant n’était pas un dégénéré qui se réfugie dans l’arrière-monde, mais un homme qui avait vécu et qui prenait lentement, progressivement son chemin vers les détachements et les transcendances conformes à son âge. Ou plutôt, toute sa vie, dès l’Afrique, il avait conçu et vécu la simultanéité des deux grandes attitudes humaines que théoriquement on veut toujours opposer l’une à l’autre et détruire l’une par l’autre, alors que dans la pratique elles sont intimement mêlées et que chacun tire de l’autre sa plus vive force