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n’échappait pas. Quand on lisait vraiment Nietzsche dans sa totalité et dans sa profondeur, on trouvait quelque chose d’ambigu, même de louche. Que voulait-il vraiment ? Ce n’était certainement pas cette manifestation corporelle et politique, naïvement cynique qu’on lui a prêtée et selon laquelle fascistes et communistes pouvaient se croire ses disciples (dans cette rencontre mal entendue ils se diminueraient autant que lui, car les rencontres entre philosophes et hommes d’action sont des malentendus où tout le monde perd). Non, il voulait quelque chose de très délicat, de très subtil, de très pur en dépit de sa psychologie de la cruauté, de sa connaissance de la loi de violence, il savait bien que des tentatives de retour à la santé primitive n’auraient pu que faire ressortir l’incapacité moderne de reproduire les élans natifs de la jeune (?) Antiquité, de la jeune (?) Renaissance. Au fond, il ne voulait pas quelque chose de très différent de ce que voulait Jésus. Ce dont il a le plus souffert et qui peut-être l’a rendu fou, c’est qu’il a pressenti et c’est à partir de ce moment-là qu’il est devenu arrogant, vantard et éperdu – qu’il ne pouvait s’arracher au modèle qu’était Jésus et que, somme toute, il ne faisait qu’imiter ce modèle. Les nietzschéens, s’ils sont les ennemis des chrétiens, ont-ils vraiment un autre sang ? L’homme moderne qui est ultra-intellectuel (alors même qu’il n’est plus cultivé et d’autant plus qu’il est moins cultivé), si effrayé, si nerveux, si angoissé dans les réalisations de sa volonté, peut-il être très différent de cet autre homme