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qui a été donnée, Judas se faisait ermite, renonçait au don de Dieu, au seul don de Dieu dont nous sommes sûrs, la vie, pour un autre don de Dieu que nous imaginons, qui n’est rien moins que certain et que nous en venons à préférer à celui que nous ne savons plus exploiter. Judas renonçant à faire de Jésus un roi, se résignait à en faire un dieu : n’y avait-il pas là une terrible déchéance ?

C’est que Judas appartenait à un peuple vaincu, à un peuple affaibli, à un petit peuple qui avait été foulé par vingt invasions, occupé par vingt occupants. Ce petit peuple était sur un passage dangereux entre deux continents, toutes les grandes armées qui portaient la puissance d’un empire contre la puissance d’un autre empire, en raison de cette éternelle loi de la volonté de puissance, qui fait que le moi d’un peuple veut primer le moi d’un autre peuple et l’absorber ou le détruire, les armées chaldéennes, assyriennes, égyptiennes, perses, grecques, romaines étaient passées sur le ventre de ce petit peuple et étaient restées pendant des siècles sur ce demi-cadavre de plus en plus cérébral à mesure qu’il devenait moins vivant, de plus en plus métaphysicien à mesure qu’il était moins social, moins politique, moins guerrier, plus incapable des affirmations musclées et armées. Le temps du roi David et du roi Salomon était loin, du roi Soleil dans son palais de marbre et de cèdre dominant tous les peuples environnants. Les Juifs n’étaient plus que des intellectuels et des littérateurs, ce n’étaient même plus des