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dans la même difficulté. Judas s’était trouvé d’abord dans la nécessité de forcer Jésus à devenir Messie et roi des Juifs, triomphateur terrestre sur le clergé juif abhorré, sur les pharisiens méprisables et aussi sur les Grecs et sur les Romains ; ayant échoué dans cette volonté, il avait été amené à souhaiter au moins la mort de Jésus comme une sorte de compensation désespérée, une amère revanche ; maintenant, Judas, plus spirituel que religieux, voyait dans cette mort même non plus un pis-aller, mais au contraire la condition même du triomphe et de la gloire. Il ne s’agissait plus du royaume terrestre mais du royaume céleste, il ne s’agissait plus de conquérir la vie dans son apparence immédiate mais au-delà du seuil si étroit et si momentané de la mort, dans sa réalité éternelle. Dans ce dernier cas, il fallait encore trouver le moyen pratique de faire mourir Jésus.

Ici, Constant s’arrêtait un moment et faisait sur lui-même un retour anxieux. N’avait-il pas été le disciple de Nietzsche ? Celui-ci condamnait passionnément les penseurs de l’arrière-monde ; celui-ci disait qu’il n’y avait que la vie immédiate. L’apparence était la seule réalité et le destin humain était tout entier dans le terrestre, où d’ailleurs il s’accomplissait avec une telle violence et une telle intensité que cela équivalait à la notion de l’absolu. Et même, du fait du Retour Éternel, la vie humaine se répétant à l’infini était l’éternité. Nietzsche rejetait comme absurdes et inutiles, comme éminemment destructrices de tout l’accomplissement possible toutes les