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lui, Judas, s’il arrive à les comprendre, il les comprendra plus pratiquement que Jean. Jésus est peut-être une puissance céleste déguisée ? Il y a en effet en lui quelque chose de bien étrange et de bien mystérieux. Il faut tenir compte du mystère. Pas si bête : c’est un élément de spéculation certain. Si j’étais le premier à deviner le caractère de Jésus ? D’autre part, Jean dit que le Messie doit souffrir : son caractère éclatera à l’occasion de sa souffrance.

Constant se faisait peu à peu de Judas une idée supérieure ; ou dans l’histoire qu’il se racontait à lui-même, à propos de Judas, il en venait à imaginer que ce personnage se développait peu à peu et accédait à un plan supérieur. Il avait lu assez de bouquins d’exégèse pour savoir que les Juifs du temps de Jésus étaient profondément imbibés, le sachant ou ne le sachant pas, d’idées grecques, aryennes et autres. Tout autour d’eux et sans doute en eux-mêmes flottait l’idée de dieux qui s’incarnaient pour mourir et renaître et au sort de qui était lié le salut de leurs fidèles, de ceux qu’ils avaient initiés à leurs mystères et qui avaient été touchés par la grâce.

Autour de Jésus on pouvait donc croire que, tout en étant peut-être le Messie attendu par la tradition juive orthodoxe, il était peut-être en même temps, et plus encore, un de ces dieux incarnés. L’idée d’un être spécial issu de Dieu, divin dans quelque mesure, en tout cas extra-humain, comme certains grands prophètes, s’était formée dans la pensée juive au moins deux siècles avant jésus.