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toujours à quoi s’en tenir sur les Russes blancs : ils sont passionnés d’impérialisme slave. Quand ils sont contre, ils sont encore pour, parce qu’ils ne peuvent faire autre chose que d’exprimer la pensée slave qui a engendré le panslavisme, le bolchevisme. De même Rivarol à Hambourg disait malgré lui le même rationalisme, par plus d’un côté, que les Jacobins.

— Que sera, croyez-vous, le règne russe en Europe ? continua Constant.

Pour la première fois, son regard se croisa durement avec celui de Liassov.

— Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? demanda celui-ci avec la douceur qui n’avait pas changé dans sa voix comme dans son regard. Vous savez bien ce que je pense, ce qu’ont pensé mes maîtres Dostoïevsky et les autres : la Russie porte en elle la destruction du monde moderne européen, elle le détruit en le portant à un paroxysme dont celui-ci est ailleurs bien incapable. La Russie est le monde moderne qui se dépasse lui-même et se jette dans cet inconnu de soi-même que découvre toujours un être qui persévère vraiment, avec une passion sauvage, dans soi-même.

Constant frémit dans son for intérieur. « Oui, voilà ce qu’il me faut pour moi-même, voilà ce que ma vie se doit à elle-même, voilà ce qu’il me faut atteindre avant de mourir. Atteindre à mon excès pour me dépouiller moi-même, me retourner l’être. Avant de déboucher au soi, il faut épuiser le moi. On ne tue le moi qu’en l’épuisant. Pour pouvoir vraiment vivre sa mort, entrer