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mettons à part la licence intellectuelle. L’Italie, l’Espagne sont des pays trop primitifs pour le libéralisme, comme l’Allemagne et la Russie.

— Somme toute, la démocratie vraie n’est supportable nulle part.

— Non, bien sûr. Il n’y a pas assez de pays germaniques protestants et libéraux en Europe pour y maintenir la démocratie libérale qui n’est naturelle qu’à eux seuls. L’Angleterre, les Scandinaves, les Pays-Bas, la Suisse, ce n’est pas assez. C’est pourquoi quand ces pays auront détruit l’Allemagne, il me semble qu’ils auront livré l’Europe aux Russes.

— Oui, l’Allemagne avec son slavisme germanisé, son socialisme et son autoritarisme mitigés, joue vis-à-vis de la Russie le rôle de la Gaule romanisée autrefois à l’égard des Germains. Et l’Europe va se priver de cela.

— J’en reviens à ma question : Croyez-vous que l’Angleterre et l’Amérique veuillent cela vraiment ?

— Non, mais il y a la logique intérieure. Une aristocratie saturée veut toujours se détruire. L’aristocratie anglaise doit faire, qu’elle le veuille ou non, ce qu’a fait l’aristocratie française en 89. Et de même que la France a forgé l’unité de l’Allemagne, l’Angleterre détruit en Europe le seul obstacle qui reste sur le chemin de la Russie.

Une très légère lueur scintillait dans le regard pâle du peintre russe. Roxane frémissait aussi doucement. Constant ne s’étonnait pas, il savait depuis