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resté sensible à l’existence des autres. Oh certes, quelque chose d’essentiel m’échappe en eux, surtout quand, dépassant eux et moi et le monde des opinions pour m’efforcer dans un autre monde, je jette en arrière sur eux comme sur moi un regard plus dédaigneux que charitable ; mais enfin je ne les ignore pas tout à fait. Cela m’autorise à prendre dans des doigts qui se prétendent d’artiste encore après l’avoir été de polémiste ces questions déchirantes comme des lames de couteaux : je m’y blesse autant que j’y blesse les autres.

Je suis resté un artiste, et je le suis même devenu davantage en m’assurant par ailleurs dans mes préférences passionnées. Quel est celui de nos maîtres du passé qui n’a pas été à ses heures un homme d’emportement ? Même les sectateurs de l’art pour l’art prenaient encore parti, en osant se détacher de la société.

Un artiste est, tour à tour, détaché, et attaché, riche et pauvre : il fait sa richesse de demain de sa pauvreté d’hier et réparait plus secret dans un roman après une campagne dans les journaux.

D’avoir attendu au moins quelques mois me permet de donner ce livre en toute présence d’esprit comme un document irrémédiable qui porte l’horrible palpitation d’un moment, il fera crier, il me fait crier. Combien de lignes je voudrais déjà modifier. Mais impossible.

J’ai cru aussi que ce livre ne pourrait pas « passer ». Et pourtant il « passe », on le laisse passer. Sans doute comprend-on que le meilleur argument pour intéresser, à la défense euro-