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secondaire. Mais il y en a qui pour être au second plan n’en pensent pas moins.

Judas pense peut-être énormément avant d’en arriver à faire ce qu’il fait. Il a de quoi penser : il voit les autres parler et agir du fait que c’est lui qui tient les cordons de la bourse, il voit les dessous de l’affaire, tout cela qu’eux ne peuvent ni ne veulent voir. Il est derrière les autres et il voit tout ce que disent leurs dos. Cela lui donne l’habitude de voir une chose par les deux côtés à la fois, et en particulier la chose qui les occupe tous.

Quelle chose les occupe tous ? Il s’agit de la venue du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu doit arriver bientôt, mais le temps passe. Or, Judas a le sens du temps, car le temps c’est de l’argent et c’est lui qui a le souci de l’argent. Le temps passe, on manque toujours d’être sans argent, les aumônes sont incertaines et il y a tant de camarades à nourrir qui croient que ça leur est dû. Si le royaume de Dieu arrivait, tout serait enfin réglé. On vivrait dans l’abondance et il n’aurait plus besoin d’être caissier. Ou il serait ministre des Finances, trônant parmi les caisses de sesterces. Il faut hâter la venue du royaume qui ne sera pas qu’or, qui sera gloire, et même l’or ne sera qu’un reflet de la gloire. Personne ne se hâte, ni Jésus ni les camarades. Lui, Judas, qui est seul à voir les choses par les deux côtés, qui est seul vigilant et positif, doit hâter la chose. Comment ? Le royaume ne peut arriver que par la révolte contre les Romains et contre le clergé. On ne peut attendre Dieu.