Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/132

Cette page n’a pas encore été corrigée

combinaison il avait proposée de l’extrême détachement bouddhique ou taoïste avec l’indélébile pragmatisme de l’Occident. Par malheur, le ressort vital était trop usé dans Constant, il le savait bien, pour réaliser en lui la double liberté nietzschéenne. Certes, il avait vécu, roulé par le monde, agi ; il avait été soldat, débardeur, amant, agent politique, spéculateur, espion, membre de société secrète, sorcier, commerçant, à l’instar de son autre maître en mobilité, Rimbaud. À travers tous ces avatars, il avait recherché une progressive concentration intérieure, un enrichissement de plus en plus subtil et essentiel qui par tous les débris qu’il laissait en arrière était un dépouillement. Il y a toujours des hommes de cette espèce qui transcendent et subliment les éléments du temps et disparaissent dans un ravissement sans témoins. Un autre de ses maîtres avait été ce curieux colonel Lawrence, ce sinistre humoriste issu de la même race que Wilde et Shaw, qui après une brève et épuisante aventure avait agencé sa propre disparition. Ils semblent obéir à l’égoïsme, car ainsi ils se dégagent de toute responsabilité immédiate et évitent les petits inconvénients, tels que la prison et la mort morales, d’une particulière et naïve position dans le siècle. Leurs indifférences et leurs préférences contradictoires ressemblent à ce suprême camouflage de l’égoïsme qu’est l’amour chrétien qui, la plupart du temps en se donnant les gants d’aimer tout le monde, se met à l’abri d’aimer personne. Constant enviait, ignorait, moquait et dénonçait l’amour, cette grande