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se dérober au choc, il le recevait de plein fouet ; mais il ne le ressentait guère, car pour lui la France était bien devenue ce que Constant soupçonnait : une éternité. Ce n’était plus un présent se compensant dans un passé ou dans un avenir comme pour Préault et Salis et Bardy, c’était un seul moment indestructible qui vivait dans l’esprit en dehors des contingences. La France était une entité, une déesse définitivement installée dans le Panthéon ou l’Olympe de l’histoire. Constant se rappelait une phrase écrite par un écrivain contemporain : « Les patries sont déjà remontées au ciel », ou quelque chose d’approchant.

Et c’était pourquoi il était naturel que lui, Constant, qui quoi qu’il prétendît était français, eût, par un instinct puissant devenu peu à peu conscience, glissé de la France au monde et du monde à l’arrière-monde. Du moment que la France était au ciel, aussi bien vivre au ciel et ne se soucier plus que des dieux, et au-delà des dieux qui sont presque aussi particuliers que les patries (Jésus et Marie, le Sacré Cœur et Saint Joseph, en face de Vishnou ou de Çiva) de Dieu, et, au-delà de Dieu qui n’est qu’une pénible abstraction de toutes les choses concrètes, de l’indicible que les Upanishads, les Sutras bouddhiques, le Tao, le Zohar s’appliquent à dépouiller de toute catégorie. Nietzsche, qui mieux que Kant et Schopenhauer, Hume ou Berkeley, avait atteint l’extrême mobilité et l’extrême souplesse de la pensée et rejoint les modèles indiens, thibétains et chinois, avait été là encore un bon maître. Quelle merveilleuse