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Cormont grimaçait sans colère : il était sûr de ses vingt-cinq ans, ce qui faisait plaisir à Constant, qui lui était sûr de ses cinquante. Constant avançait son sale râtelier vers cette chair fraîche comme un vieux cheval qui ne croit plus beaucoup dans la vertu des jeunes avoines.

— Le peuple français, qu’il le veuille ou non, déclara Cormont d’un ton sec qui contrastait de façon plaisante avec son regard juvénilement affamé de sympathie, est arraché au délicat isolement thibétain où vous le croyez confiné comme vous. Il y a des centaines de milliers de jeunes Français qui vivent hors de la vieille France, en Allemagne ou en Afrique, et qui apporteront une autre haleine dans la sinistre cambuse. Ils ne seront plus ce qu’étaient leurs pères, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils sont encore tentés de leur ressembler.

— Oui, c’est ça, ils ne sont plus des Français, ils sont pris dans les immenses mouvements de foules. N’appelez plus français ce qui n’est plus français.

— Ce sont des Européens, dit Bardy.

— L’Europe, l’Europe seule ! ricana Constant. Mais l’Europe est aussi disloquée que la France et autant qu’elle menacée d’extinction.