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n’a pas besoin d’être défendu, il se défend tout seul. Il est aussi coriace qu’un dolmen oublié sur la lande. Les Français n’ont pas besoin de défendre la France, elle se défend toute seule, c’est un vieux caillou inusable.

— Mais non, s’écria Bardy, les Américains avec leurs films et les Russes avec leurs cellules commençaient très bien à concasser ce vieux caillou et à en faire un ciment anonyme.

— Je note, continua Constant, que les Allemands ou les Anglais nous ressemblent trop pour nous faire du mal, ils sont eux-mêmes cailloux sous les rouleaux compresseurs, russe, américain. Enfin, si vous ne vous exilez pas dans quelque cause étrangère, jeune Cormont, vous ne pouvez mener à l’extrémité de l’Occident que le jeu sordide d’un petit peuple irlandais enfermé dans son île avec ses gardiens de musée, jésuites ou maçons, qui dit sempiternellement merde à la terre entière et remâche son injure désolée.

— Nous ne sommes pas dans une île.

— Oh, on peut nous occuper sans s’intéresser à nous. Les Américains en Afrique sont aussi indifférents que les Allemands en France. Peu leur chaut qu’il reste encore dans les coins quelques grammairiens délicats. Vous ne serez même pas de ceux-là. Pour moi, si j’avais à recommencer ma vie et si je ne m’intéressais pas plus à la philosophie thibétaine qu’à toute autre chose, je me ferais américain ou russe, mais je ne m’attarderais pas aux spasmes mesquins d’une nation de second ordre.