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bredouillement injurieux. Pour le mettre à son aise, au bout d’un moment, Constant se chargea de dire ce qui pouvait le plus lui déplaire et qui pouvait provoquer sa réaction la plus nette.

— La France est un coin du monde qui tombe dans l’oubli ; elle ne survit plus que par l’appel démagogique qu’on se croit obligé de lui lancer encore du dehors. Le peuple français n’est plus à l’âge politique, il est entré dans le sommeil séculaire et délicieux de toutes ces décadences qui peuplent la planète. Je pense à la Corée ou à la Birmanie. Si vous voulez vivre, jeune homme, votre violence politique, allez en Russie ou en Amérique. De quelle puissance étrangère êtes-vous l’agent, jeune nationaliste français ? Pour quel roi de Prusse travaillez-vous ?

— Je suis contre tous les rois de Prusse ; je suis contre les millionnaires, les commissaires du peuple, les S.S., le pape et la maçonnerie et les Juifs.

— La France, la France seule ! Jérusalem l’an prochain !

— Vous êtes un vieil anarcho…

— … édenté, un vieil anarcho édenté, rigola Constant. Je me suis usé les dents sur des continents plus durs que l’européen. Les terribles foules de Moscou, de New York, de Shanghaï font fi de votre pauvre vieille petite tribu d’Occident, jeune homme. Je regrette que vous vous acharniez à défendre le génie rabougri de la Loire et de la Seine. Il n’est pas défendable, il