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pour une raison non moins incompréhensible a perdu l’homme, ne peut le sauver, troisième opération incompréhensible mais moins incompréhensible que les deux autres, que si Judas s’en mêle. Certes, Dieu est actif dans l’opération du salut, en tant que deuxième personne de la Trinité, à travers son fils. Mais ce fils a besoin de Judas. Me voilà sur une belle pente, il n’y a plus de raison de m’arrêter, et dans quel abîme vais-je culbuter ? Quel roman policier ! Judas a son libre arbitre, si peu que ce soit ; il pèse le pour et le contre, et il choisit. Il a l’air de choisir trente deniers contre sa réputation. Qui peut s’arrêter à ces babioles ? Il s’agit de bien autre chose. Il choisit que le monde remue, que le monde respire. Ce deus ex machina fait marcher la machine. Deus. Deus ? N’est-il pas lui-même un deus, un dieu ?

Comme derrière Iago ou Faust, nous voyons derrière lui se profiler Satan. Or Satan n’est-il qu’un ange ? N’est-ce pas un Dieu ? N’est-ce pas Ahriman, le presque égal d’Ormuzd ? N’est-ce pas l’autre Dieu de Mani ?

Sans aller si loin et en restant dans la mythologie chrétienne, on peut admettre que Judas a plus fait qu’aucun homme pour le salut de l’humanité puisqu’il n’a pas seulement accepté un supplice transitoire, mais un supplice éternel. C’est un type qui ressemble singulièrement à Prométhée. Du reste, Satan et Prométhée, n’est-ce pas tout un ?

Ce Judas, songeait Constant, c’est un bonhomme qui pigeait la dialectique et qui, connaissant