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— On verra cela, ricanait Bardy. D’ailleurs, vous ne croyez pas que vous vous en débarrasserez, car souvent vous m’avez dit : « J’aime mieux être anglais qu’allemand. » C’est donc que vous n’avez que ce choix. Eh bien moi, j’aime mieux être allemand, car étant allemand, je ne serais pas juif, ce que je serais si j’étais anglais.

— Le danger juif est un épouvantail, un chantage. Je ne veux pas devenir sûrement allemand sous prétexte d’être possiblement juif.

— C’est curieux, cette affaire juive, rêvait Constant.

Préault le regardait avec une curiosité horripilée.

— Vous, le cosmopolite, ça ne devrait pas vous gêner, les Juifs.

Bardy le regardait aussi avec méfiance :

— Être juif, déclarait Constant, c’est un état d’âme.

— Comment, vous ne croyez pas au sang, tonnait Bardy, vous ? Je n’aurais jamais cru ça de vous.

— Le sang, si, j’y crois, parce que c’est un mythe. J’aime les mythes. Un état d’âme séculaire entraîne un état physiologique ; donc, j’admets votre idée du sang. Les Juifs n’ont pas toujours été les Juifs, ils ont été les Hébreux, un peuple comme les autres, vivant sur sa terre – c’est-à-dire sur une terre qu’il avait conquise sur les autres et où il était tout mêlé à ces autres. Mais les Hébreux sont devenus les Juifs. Nous sommes en train de devenir tous des Juifs. Les Romains,