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Constant, agacé, interrompait Bardy :

— Non, vous ne souffrez pas. N’ayez pas honte devant lui de ne pas souffrir. Moi, je ne souffre pas.

— Vous, Trubert, s’exclamait Préault, vous êtes un cosmopolite, un déraciné. Je me demande pourquoi vous êtes rentré en France pour 39.

— Et pourquoi je ne suis pas reparti en 40 !

— Oui, c’est vrai, c’est incompréhensible, ricana Préault.

— Bardy ne souffre pas de l’occupation des Allemands. Vous, Préault, ne souffriez pas de l’occupation des Anglais ici, avant, et vous n’en souffrirez pas s’ils reviennent.

— Ce n’est pas la même chose, cria Préault.

— Je souffrais de la présence de millions d’étrangers en France comme d’une occupation, riposta Bardy. C’est pourquoi j’étais nationaliste extrémiste. Leur occupation me paraissait pire que celle des Allemands parce qu’elle était plus dissimulée, parce qu’elle vous laissait des illusions, à vous autres : j’aime mieux recevoir un coup de couteau que d’être doucement intoxiqué.

Ici encore, Constant intervenait :

— Vous êtes patriote contre les Anglais, lui l’est contre les Allemands. Vous n’êtes plus du tout patriotes les uns ni les autres. L’époque du patriotisme, finie ! Il s’agit d’une guerre civile mondiale, une guerre de religions. Bardy aime mieux que la France soit allemande que menée par Préault et Préault aime mieux que la France soit anglaise ou américaine qu’aux mains de Bardy. Ainsi, les protestants livraient la France