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Bien sûr, il mettait Renoir bien au-dessus de Monet. Manet lui avait donné un plaisir trop directement érotique pour qu’il pût en parler jamais à tête reposée. Constant qui dans le siècle avait aimé les belles femmes ; hautes, larges et pleines, amples et étincelantes armoires à glace, il sentait toutefois ses nerfs pincés par Daumier, Guys et Manet. Et Matisse.

Il apprit que Mme Liassov, qui s’appelait en réalité Kyria, avait gardé le nom de Roxane du temps où elle était actrice. Roxane était une tête admirable. Le sculpteur qui l’avait faite avait été trop séduit par la beauté qu’il avait mise dans cette tête pour descendre plus bas et il avait laissé le corps dans la gangue et, pourtant, n’ayant pas pu se résoudre à abandonner tout d’un coup son prodigieux propos, il avait laissé quelques indices fulgurer du cou aux épaules, au buste, aux hanches. Là, à mi-chemin un conflit obscur se laissait deviner entre la mauvaise volonté d’une matière énormément ingrate et cette spirituelle foudre qui descendait des admirables méplats du front, des pommettes et des mâchoires. Sans doute, ce visage était d’une beauté trop dépouillée, dans la robustesse, pour que ne fût pas payée une lourde rançon à la matière qui demeurait, à mesure que le regard s’abaissait, engoncée dans ses profondes impuissances. Constant avait adoré les seins des femmes et pourtant devant celle-ci il consentait à ce qu’elle n’en eût pas. Le sculpteur qui avait encore consenti à attacher aux mâchoires presque dures à force d’être nobles le cou vigoureux qu’