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Ce qui lui faisait avant tout horreur dans les maisons bourgeoises et riches c’était cet ordre qui recouvre le vide et cette propreté qui se met si bien à l’aise dans le vide. Les Liassov n’étaient pas pauvres, mais ils gardaient les aises des pauvres, des vrais pauvres pour qui la pauvreté n’est pas une occasion de mesquinerie comme la richesse pour les riches. Constant méprisait à ses moments perdus les riches et les pauvres, c’est-à-dire la plupart des humains. Liassov peignait dans des verts et des bruns dont Constant avait horreur, bien qu’il pût les admirer de la pointe de l’esprit ; par contre Liassov était la proie d’un tourment assez rare : il se voulait coloriste autant que dessinateur. Comme il était fort doué pour les deux moyens, le tourment résultait du fait qu’il était tenté tour à tour par chacun au détriment de 1 autre, alors qu’il aurait voulu user à plein des deux au même moment, ce qu’aucun peintre n’a jamais pu faire dans notre temps. Constant n’aimait que les peintres qui ont un tourment et qui tirent leur force des affres mêmes de ce tourment ; il aimait ceux qui ont une convulsion à surmonter. Néanmoins, il pouvait se détourner de cette direction principale de son esprit et s’extasier aussi bien qu’un autre sur la certitude étroitement prédestinée d’un Chardin, d’un Corot. Il mettait dans le même sac Monet et Renoir : il voyait en chacun d’eux un parti pris, une complaisance excessive dans leur propre style, l’asservissement de leur merveilleuse sensualité à la longue à une vision trop cernée, comme intellectualisée.