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fidèles comme le dogme primordial, et un fataliste pouvait-il maudire la destinée ?

Il n’y songea pas un instant et repassa le Bosphore après la scène du Vieux Sérail, non sans s’être assuré que la barque qui portait les fugitifs avait disparu.

Puis rentré au camp du Sultan, il prit ses armes, quitta la veste rouge brodée d’or et le manteau rouge qui le signalaient aux regards et les mit en évidence dans la tente du Sultan comme pour faire vis-à-vis de lui acte de soumission en lui laissant ces insignes d’une autorité perdue.

Il revêtit alors un burnous blanc, ramena sur sa figure le bord de son haïk, remplaça ses bottes rouges par les savates jaunes de l’Arabe nomade et alla dire adieu à son coursier noir.

Puis, sur le point de quitter ce camp d’où il était banni, il écrivit à son père une lettre respectueuse dans laquelle il disait que, courbant la tête sous sa réprobation, il partait mais il ne cesserait de bénir celui qui lui avait donné la vie et prierait Allah de le conserver jusqu’à l’âge le plus avancé pour le bien de ses peuples. Il terminait en disant que si des revers arrivaient, si jamais son père était en danger, il le suppliait de revenir sur sa malédiction pour lui permettre de mourir à ses côtés. Ce jour-là seulement il oserait se représenter devant lui.

Il plaça cette lettre sur la grande table où si souvent ils avaient travaillé tous deux jusqu’à une heure avancée de la nuit, rangea méthodiquement les documents écrits qu’il laissait, prépara les ordres de passage qui avaient été décidés dans la journée, de sorte que le Sultan n’eût plus à y mettre que son sceau, et ayant rempli sa tâche jusqu’au bout, il s’inclina le front dans la poussière et fit à haute voix, tourné vers l’Orient, la prière du « Fedjer ».

Il quitta alors la tente, le cœur meurtri, mais l’œil sec et le regard fier.

Puis il avisa Mordjan, le cheval bai doré dont le Sultan avait fait cadeau à de Melval après son départ de Périm ; celui-là appartenait à son ami, il pouvait le prendre ; et faisant un signe d’adieu aux fidèles Soudanais qui avaient constitué sa garde particulière, il sauta en selle et se dirigea au galop vers le camp de Saoud, l’Emir des Wahabites.