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Ses poings se crispèrent, ses yeux eurent des lueurs fauves à l’évocation de ce passé d’angoisse, et Omar qui, du doigt, lui montrait à ce moment les dernières compagnies anglaises disparaissant derrière le Champ des morts de Scutari, reconnut dans son regard la flamme des mauvais jours. Il n’eut pas de peine à deviner la nature de l’émotion qui étreignait son père et soudain son cœur se serra : une sueur froide perla à ses tempes.

Absorbé par le souci de la conduite des troupes, car il avait pris depuis peu le commandement direct de la Garde, que le roi des Monbouttous était incapable d’exercer plus longtemps, il avait perdu de vue l’échéance terrible, et cette échéance il y touchait maintenant.

Le Sultan allait-il mettre à exécution ses effrayantes menaces ? Il connaissait assez son père pour n’en pas douter un instant ; depuis la visite de l’officier turc, qui lui avait promis de veiller sur elle, il n’avait plus reçu de la sultane qu’une seule lettre ; c’était à Antioche elle écrivait à son petit Omar qu’elle ne vivait plus que pour lui, plus captive que jamais, mais espérant malgré tout le revoir un jour. Elle ignorait tout de la secousse qui ébranlait la moitié du monde. Le harem est un asile où ne pénètre aucun bruit du dehors, et sous l’œil soupçonneux des eunuques, Nubar le caïmakan, dévoué au jeune prince, n’avait jamais pu l’entretenir que quelques secondes.

L’eût-il pu d’ailleurs, il avait reçu d’Omar l’ordre de ne pas troubler sa tranquillité, et étendue sans doute sur des coussins de soie, au pied des fontaines jaillissant dans leurs vasques de marbre et des orangers en fleurs, la Sultane était loin de se douter qu’à cette heure le Maître de jadis, maintenant tout près du sérail, cherchait par quels moyens il allait percer jusqu’à elle.

— Qu’on dresse le camp ici ! dit le Sultan.

C’étaient les premières paroles qu’il prononçait depuis plusieurs heures. Le Khaznadar-el-Kebir (chef des intendants) fit observer qu’une luxuriante villa abandonnée par un consul anglais, dans les ombrages de Semen-Déré, derrière le massif du Kaisch-Dagh, avait déjà été aménagée pour Sa Hautesse, qu’elle y serait beaucoup mieux pour se remettre de-ses fatigues, etc…