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se fit entendre, plus rapproché que tout à l’heure, et semblable à l’appel d’une sirène de vaisseau.

Soudain le paysage s’éclaira : des torches coururent à travers les arbres et débouchèrent par centaines dans la clairière.

Ceux qui les portaient étaient des noirs absolument nus, et de taille si petite qu’on eût dit une légion d’enfants.

C’étaient les Pygmées, hôtes des bois obscurs où la puissante ramure des arbres intercepté le soleil sur un espace plus vaste que la France ; les Pygmées que Stanley avait rencontrés sur les rives de l’Arrouimi et de l’Itouri, et dont il avait en vain essayé de vaincre l’hostilité par des assurances pacifiques.

Ils étaient là quelques centaines, escorte d’honneur d’un cortège tel que n’en rassembla jamais aucun des conquérants de l’antiquité.

Devant eux les rangs pressés des nègres s’ouvrirent, découvrant les morts qui jonchaient le sol.

Et sur la multitude des noirs entassés dans la clairière, les burnous blancs des Arabes, les pagnes des Sénégalais, les coiffures multicolores des Congolais tranchèrent curieusement.

Il y avait là plus de soixante chefs, appartenant à toutes les régions connues et inconnues de l’Afrique.

Isolé au milieu d’eux et comme entouré d’une auréole, un grand vieillard à la barbe d’un blanc éclatant, à la tournure superbe, s’avançait majestueux et grave.

Il portait un riche costume arabe : veste brodée d’or, ceinture rouge et verte sur laquelle se détachaient deux pistolets incrustés de nacre et d’argent, large pantalon et bottes en cuir souple.

Sur ses épaules un haïk de soie d’une merveilleuse finesse ondulait en plis harmonieux, et sur la tête il portait le turban vert qui signale aux yeux des croyants le pèlerin de retour de La Mecque.

Or, cet homme était plus qu’un pèlerin.

C’était le commandeur même des croyants.

C’était Abd-ul-M’hamed, sultan détrôné de Constantinople par les intrigues anglaises, mais toujours considéré comme le Chef incontesté de I’Islam, parce qu’avant tout il était