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C’était une rumeur immense, quelque chose de confus, mais de terrifiant.

Des quatre coins de l’horizon elle monta, grandissant.

L’officier avait dit vrai : de cette petite armée l’élément blanc seul subsistait.

Les soldats noirs, contingent incomparable recruté à raison de 400 douros par tête dans la vallée de l’Atbara, les porteurs triés avec soin parmi les naturels du Harar et d’Ajan, s’étaient évanouis dans les profondeurs des bois.

Et cette désertion leur avait été d’autant plus facile au milieu de cette nuit obscure que, par mesure de précaution, le colonel Vitali séparait généralement leur camp du réduit central où il se cantonnait avec ses 600 Italiens.

Et ceux-ci restaient seuls exposés à ce danger encore inconnu, mais d’autant plus effrayant que cette désertion totale semblait le résultat d’un mot d’ordre rigoureusement suivi.

La rumeur s’accrut, des milliers de pas crièrent sur le tapis de phrynium et d’amomes de la vieille forêt, et firent plier les branches des figuiers nains.

Le doigt sur la détente, mais l’âme pleine d’une terreur inexpliquée, les soldats italiens attendaient, embusqués derrière leur retranchement d’épines.

Soudain, sur l’une des faces du camp, un coup de feu retentit.

Presque en même temps toutes les armes partirent à la fois.

Une fusillade ardente crépita dans la nuit, illuminant les hautes herbes.

L’ennemi inconnu n’était pas visible encore, mais on le sentait là tout près et la gorge sèche, les yeux agrandis, le corps secoué par un frémissement, les Italiens tiraient dans le noir.

Peu à peu les hurlements de guerre s’éteignirent, et un silence relatif plana sur ce champ de massacre.

Du milieu des bois un son de trompe retentit, lugubre, prolongé ; on eût dit un pleur d’hyène se fondant avec un rugissement de lion, et comme si ce signal eût été attendu, des hurlements sans nom s’élevèrent aux quatre coins de l’horizon.