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étendus côte à côte, dans des sacs de couchage formés de peaux d’ours blancs.

On n’en voyait que les têtes, d’une maigreur effrayante, et les mains, aux doigts allongés démesurément, comme ceux des squelettes. La peau, jaunâtre et comme tannée, se plissait, sur ces visages sans muscles, comme une étoffe trop large, et les paupières bleuies, ridées et agrandies, bouchaient la cavité des orbites comme l’eût fait un pansement de chirurgien.

Les cheveux et les barbes, d’un blond flave chez l’un, d’un roux ardent chez l’autre, avaient poussé démesurément et s’étalaient, broussailleux et hirsutes, sur les peaux d’ours des couchettes.

Depuis combien de temps étaient-ils là, momifiés par le froid, ces explorateurs du Pôle ?

Combien de semaines, de mois peut-être, y avaient-ils vécu, sans espoir de revoir le monde civilisé, comptant les jours qui les séparaient de la fin ?…

C’était une vision atroce, et le beau visage de Christiane, tout à l’heure animé et rosé par le vent de la course, était devenu d’une pâleur extrême. L’apparition de ces squelettes, encore que la découverte du pavillon suédois pût faire prévoir leur voisinage, était trop impressionnante pour la nature délicate et nerveuse de la jeune fille ; elle frissonna sous ses fourrures et se serra contre son compagnon.

Cependant, l’Américain promenait le faisceau lumineux de sa lampe autour des cadavres.