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On eût dit une inondation humaine ! Leur flot vint battre notre muraille ; des échelles à crampons accrochèrent leurs griffes à la brèche ; tout pâle, je me mis à lancer dehors des coups de baïonnette furieux.

Pépin à mes côtés faisait aussi de bonne besogne, et sans que j’eusse eu le loisir de le voir arriver, le lieutenant Cassaigne surgit tout d’un coup, accompagné d’une douzaine de marsouins.

— Renversez les échelles ! cria-t-il.

Des madriers, poussés par vingt bras, firent l’office de leviers, et des grappes de Bavarois s’écroulèrent sur les baïonnettes des autres, pendant que nous tirions frénétiquement.

La position devenait intenable pour l’ennemi. Ils lâchèrent encore pied, laissant dans la ruelle et au bas du mur, un tas effroyable des leurs : tas affreux, épouvantable, où des blessés hurlaient ; où des bras s’agitaient convulsivement ; où des têtes hagardes, maculées de sang, émergeaient en lançant des plaintes lamentables.

Chose curieuse ! l’ennemi n’avait presque pas tiré ; à peine quelques coups de feu isolés étaient partis à notre adresse ; et j’incline à croire qu’ils avaient été lâchés involontairement par des poltrons énervés.

Sans doute l’ordre de ne pas tirer avait été donné d’avance, et leurs officiers comptaient uniquement sur l’irrésistible poussée du nombre pour réussir dans cette seconde attaque, qui, certainement, n’était pas seulement dirigée contre notre grange, mais qui avait dû, au contraire, foncer sur presque toute la face sud-est de Bazeilles.

Pendant que nous reprenions haleine, le canon recommença à tonner : la maison voisine reçut à elle seule toute une salve : cinq minutes plus tard, elle flambait. Gagnant le toit démoli de notre abri, des flammèches qui tombaient incendièrent le foin répandu çà et là, et notre grange flamba à son tour.

— Gagnons la rue ! ordonna le lieutenant dont le visage énergique s’était rembruni.

Il conduisit ce qui restait de notre groupe dans une maison de la rue de l’Église et nous y réinstalla.

Maintenant, au lieu d’être, comme auparavant, sur la première ligne de défense, nous devenions une sorte de « soutien » des troupes engagées, tant sur la barricade que dans les premières maisons de Bazeilles ; et j’eus, pendant un bon moment, le loisir d’examiner la bataille.