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trouvé moyen pendant les marches, d’arranger sur son sac, à l’aide de fines tiges de bambou, une sorte de parasol, pour se garantir de l’ardeur du soleil.

Cette trouvaille avait fait florès ; ses camarades l’avaient imité ; et comme, en argot, Pépin, le nom patronymique du petit troupier, signifie justement parapluie, on l’avait surnommé par comparaison Parasol.

Tu m’excuseras, chère maman, si, dans ces impressions de guerre, j’emploie parfois certaines vulgarités de langage ; mais je veux te donner une impression très juste de ce que j’ai vu et ressenti.

Aussi les quelques termes argotiques du brave Pépin trouveront grâce devant toi, en raison même de leur couleur pittoresque et du cachet de vérité dont ils imprègnent mon récit, qui ne doit être que de la vie racontée ; et je suis persuadé que tu trouverais anormal que je mette dans la bouche du petit troupier faubourien, des tours de phrase ayant cours dans le grand monde.

Chacun s’exprime selon son éducation première, et la forme parfois triviale donnée aux sentiments exprimés n’en exclut pas les qualités intrinsèques.

Au demeurant, mon nouvel ami Pépin était un brave, bien qu’il n’eût que vingt et un ans et déjà pourtant dix-huit mois de service, car il était engagé volontaire.

Il était estimé et aimé de tous, tant pour sa gaieté constante que pour sa bravoure très réelle.

Le sergent m’a en effet raconté qu’en Cochinchine, il s’était signalé à plusieurs reprises dans les colonnes d’exploration, et que, s’il n’était pas encore gradé, c’était uniquement parce qu’il « ne savait pas lire ».

Mais, paraît-il, il s’était décidé à apprendre et commençait à épeler ses lettres, lorsque le tour de relève de son bataillon était arrivé.

La traversée puis la guerre avaient interrompu les « études » de Parasol, et voilà pourquoi le brave petit gars n’était toujours que premier soldat.

J’aurais volontiers passé toute ma nuit à causer avec mes nouveaux frères d’armes, mais la fatigue m’envahissait.

Le lieutenant Cassaigne intervint et exigea que je prisse du repos.

— Mon enfant, dit-il, si demain vous voulez être dispos pour l’action, dormez quelques heures… et ce ne sera pas de trop !

J’obéis, crois-le, maman, sans avoir à me faire violence ; et, confortable-