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Au reste, il était très tranquille, très rassuré ; il semblait parfaitement à son aise, pendant que le piquet bavarois nous confiait à un autre petit poste.

Ce dernier nous transmit à son tour à un troisième qui finit par nous verser entre les mains du groupe principal, lequel était commandé par un lieutenant.

Tout en marchant, j’avais examiné tout, et j’étais presque content ; en effet, chacune de ces transmissions me rapprochait de la Meuse et de Bazeilles.

Or, comme ma décision était catégorique et bien définitive ; comme ma volonté formelle était de franchir la Meuse, je ne pouvais que me féliciter de cet incident, qui, sans encombre, me rapprochait de mon but.

Le poste (je le vis tout de suite) était placé à cent mètres environ de la Meuse ; il avait à sa gauche la voie ferrée ; à sa droite, et tout au plus à trois cents mètres, le pont, à demi détruit et barricadé, se dessinait en silhouette sous la faible clarté de la lune, dont les rayons trouaient par moments les nuages sombres.

C’était ce pont qu’il me fallait gagner !

L’officier était un petit homme blond, sanglé dans sa tunique bleue ; un monocle rivé sur son œil droit accentuait son air suprêmement impertinent.

Dès que nous fûmes en sa présence, il nous toisa, et se mit à interpeller en allemand le reporter anglais.

Mais celui-ci l’interrompit dès les premiers mots, et reprit son ton de défi arrogant, se targuant, comme il l’avait déjà fait, de sa qualité de sujet anglais.

Puis, fouillant dans sa poche, il en tira une feuille aux armes allemandes et la mit insolemment sous le nez du lieutenant bavarois.

L’effet produit fut extraordinaire ! L’Allemand saisit la feuille, y jeta un coup d’œil, et saluant militairement :

— Oh ! dit-il, c’est différent !… Mille regrets, monsieur Kolwitz ! Du moment que vous avez un laissez-passer de Son Altesse le Prince Fritz, vous êtes des nôtres ! Venez avec moi !

Il l’invita à pénétrer dans une petite chaumière abandonnée, où se trouvait installé son poste, non sans m’avoir toisé au préalable, et donné l’ordre au sergent de me fouiller.