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Je ne l’ai pas pu ! Le mouvement des deux armées prussiennes se dessinait déjà, et j’avais à les traverser dans toute leur largeur ; c’était impossible !

Navré, j’ai dû me laisser emporter par leur mouvement, tout en cherchant à me tenir le plus près possible de leur front.

Comme cela, me disais-je, dès que le contact s’établira, je tenterai, à tout risque, de passer, même sous le feu ! Advienne que pourra… et à la grâce de Dieu !

Le lendemain 27 août, (j’avais fait dans ma journée plus de 40 kilomètres !) je me suis trouvé à Dun, sur la Meuse, en plein corps Saxon ; et là j’ai définitivement appris que le Maréchal de Mac-Mahon accentuait bien en effet le mouvement indiqué, la veille, par les officiers de uhlans à l’auberge de Clermont-en-Argonne, et que les cavaliers prussiens avaient même rejoint nos troupes — sans du reste s’engager avec elles — au village de Nouart.

Ce qu’ils étaient joyeux ! je ne saurais te l’exprimer, ma chère mère ! Et cette joie me faisait mal. Ils buvaient, emplissaient les cafés de la fumée de leurs grosses pipes, braillant leurs propos de victoire ; injuriant, raillant nos soldats et nos officiers ; déclarant que nous n’étions pas capables de faire la guerre, que nous ne savions même pas installer nos services de sûreté ! Oh ! que de colères j’ai amassées contre eux dans ces mortels jours d’étape, où j’étais forcé de les suivre ! Et que de critiques justes dans tout ce qu’ils disaient ! car c’était vrai, nous ne savions par nous garder : notre cavalerie, héroïque pour se sacrifier, ne savait pas reconnaître ; les gardes mobiles formaient une tourbe indisciplinée, les chefs n’étaient plus écoutés, les ordres étaient méconnus ! Mais justement entendre nos ennemis constater tout cela, subir leur joie insultante, était une véritable torture pour moi !

Ce même jour, 27 août, je suis reparti dans la direction de Stenay, mais sans pouvoir franchir leurs cordons de cavalerie. Alors j’ai pris pour objectif Nouart, puisque je savais que nos troupes étaient tout près ; mais par là, mêmes difficultés.

Enfin, deux jours plus tard, le 30, vers midi, un engagement se dessinait vers Beaumont, et, forcé de rester en arrière, j’ai, en frémissant, entendu de loin le canon et la fusillade qui s’étendait jusque vers Mouzon. Malheureusement. le soir j’entendais avec désespoir dire par les Allemands que