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Mais bast ! j’avais la foi qui soutient, de la vigueur et de l’argent ! Et puis aussi ma connaissance de la langue allemande !

Ah ! ce que cela m’a servi, chère maman, tu ne peux t’en douter !

Non pas que j’aie articulé en cette langue une seule phrase. Que non pas ! Je m’en gardais bien au contraire ; mais, grâce à cela, j’apprenais toujours quelque renseignement utile en écoutant les conversations des officiers, dans les auberges où je m’arrêtais pour manger.

Car je n’ai pas besoin de te dire que c’est à pied que je faisais mes étapes ; les chemins de fer ne circulaient plus.

J’aurais pu, évidemment, louer çà et là des voitures ; je ne l’ai pas fait pour ne pas éveiller les soupçons. Je marchais comme si j’eusse été un habitant du pays, circulant pour ses affaires.

Je suis ainsi arrivé, sans ennui sérieux, jusqu’au village de Clermont-en-Argonne.

C’était le 25 août. Je me trouvais en plein au milieu du mouvement de l’armée du Prince de Saxe, que les Prussiens dénommaient IVe armée, et un peu en retard, par suite des crochets que j’avais dû faire afin d’éviter les routes encombrées de troupes et de convois.

Quand, ce 25 août, j’entrai dans Clermont-en-Argonne, le bourg était rempli d’équipages bizarres, que j’avais déjà pu remarquer sur ma route.

C’étaient des chariots allemands, mal ficelés, recouverts de bâches, et traînés par des chevaux maigres et mal entretenus.

Ce n’étaient point là les équipages de l’armée régulière.

Ils avaient pour propriétaires d’ignobles traînards de guerre, vêtus de loques sordides, aux figures d’oiseaux de proie ; la plupart — je m’en suis rendu compte — étaient des juifs d’Allemagne ; et tout ce monde interlope suivait la guerre, comme les corbeaux la suivent par appât du carnage.

Ces hommes étaient bien en effet des corbeaux : ils pillaient, détroussaient et achetaient aussi à vil prix aux soldats prussiens les objets que ceux-ci trouvaient dans les châteaux, dans les villas, dans les fermes ou les chaumières abandonnées.

Ces hommes étaient les véritables recéleurs d’une armée où le pillage se pratiquait couramment, avec — tout au moins la tolérance, sinon plus — des officiers.

Je t’assure, ma chère maman, que cela m’a donné un haut-le-cœur !