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mariés ; mais il n’avait pas suivi le défilé, et, manifestement gêné, il n’osait plus ni s’avancer, ni sortir.

Georges le montra d’un geste à Andrit, qui avait servi de garçon d’honneur à son ami.

Le jeune officier de la légion se dirigea vers le soldat, échangea quelques mots avec lui, et, le prenant par la main en souriant, l’amena devant Georges Cardignac.

Et dans ce soldat qui portait encore le bras en bandoulière, car son épaule fracassée se réorganisait bien lentement, Georges Cardignac reconnut Rousseau, le déserteur ! Il fit un pas vers lui, et lui tendant la main :

— Lucie, dit-il, je vous présente un brave soldat,… qui revient de loin !

— Oh, oui !… de bien loin ! mon lieutenant, murmura l’ancien légionnaire d’une voix entrecoupée… Combien… je vous remercie ! Jamais, jamais je ne vous oublierai !


Me croirez-vous, mes enfants, quand je vous dirai qu’au milieu de toutes les joies qui l’inondaient à cette heure, le « merci » de cet humble qu’il avait sauvé de l’abîme, mit dans l’âme de Georges Cardignac un bonheur nouveau et non le moindre.

Ce retour d’un soldat à l’honneur et au devoir, cette résurrection morale, c’était en partie son œuvre à lui ; et quelle satisfaction est supérieure à celle-là ?


Mes enfants, le « petit marsouin » dont je viens de vous raconter la première partie de la vie est loin d’avoir terminé sa carrière. En 1886, année où je le quitte, il va passer capitaine. Il a encore la perspective de nouvelles campagnes aux colonies : il ira à Tombouctou, il se battra au Dahomey, il fera partie de la colonne volante de Madagascar, il suivra les traces de la mission Congo-Nil, enfin il ira guerroyer en Chine ; il a encore trente ans de vie militaire devant lui.

Verra-t-il la grande guerre attendue par ceux qui n’oublient point ? il semble que chaque jour la recule davantage.

Verra-t-il la lutte avec l’Angleterre, l’ennemie séculaire de notre pays ? C’est plus que probable.

Quoi qu’il en soit, je termine ici l’histoire de cette Famille de Soldats, que vous avez suivie depuis trois ans avec une attention qui m’a beaucoup