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d’Ormesson… Il n’était pas encore arrivé : mais, près du presbytère, il rencontra Andrit qui lui sauta au cou, et avec lui, le grand Rollet, de Thiaucourt, maintenant passé au 54e de ligne.

— C’est la huitième fois déjà, dit ce dernier, que je viens ici, et toujours aussi nombreux sont les annexés qui, pour nous rejoindre, traversent la frontière ; la route de Metz est couverte de leurs voitures. Pauvres gens, ils n’oublient pas, eux ! Chaque année, nous les reconduisons jusqu’au poteau, comme nous l’avons fait en 1877, et, l’année dernière, l’un d’eux me disait, en me serrant la main une dernière fois : « Notre tombe se referme. »

— Ils oublient peut-être moins vite que nous-mêmes, dit Georges ; mais toi, où es-tu en garnison aujourd’hui ?

— À Saint-Mihiel, ou plutôt au fort du Camp des Romains, qui en est tout proche. J’ai successivement occupé Toul et toute cette ligne de forts de la Woëvre, Gironville, Liouville, Troyon, qui font face à Metz ; mais, je te l’avoue, je commence à la trouver longue, cette garde, montée l’arme au pied, devant la trouée des Vosges. Quand viendra-t-il, le jour de la revanche ? voilà quinze ans déjà !…

— Zahner était avec nous en 1877, dit Georges ; il repose maintenant bien loin de cette frontière que tu n’as pas voulu quitter.

— Oui, mais du moins il est mort en campagne, c’est-à-dire en soldat, répondit tristement l’officier. Moi, j’ai peur de m’être trompé en choisissant un régiment de l’Est à ma sortie de Saint-Cyr. Si l’attente devait se prolonger encore longtemps, je le regretterais tout à fait ; car je songe souvent que j’aurais pu, comme vous deux, avoir au loin une vie d’action, au lieu de me consumer dans cette existence de garnison d’une désolante monotonie. Je commence à me faire l’effet d’une machine qui tournerait à vide…

Le commandant Marin, le vieil officier en retraite qui avait servi de guide à Georges à son premier voyage à Saint-Privat et lui avait montré l’endroit où était tombé le colonel Cardignac, était mort l’année précédente, et ce fut une douloureuse surprise pour notre ami ; mais l’abbé Faller, le vaillant curé de Mars-la-Tour, était toujours là. Les trois amis allèrent le saluer, pendant que Mme Cardignac priait à l’église, ornée de drapeaux, et que se formait, devant la mairie, le cortège traditionnel.

Ils entrèrent avec lui au musée qu’il s’occupait de former, recueillant pieusement tous les souvenirs provenant des champs de bataille des 16 et